Face à l’envie de mourir

Il m’arrive régulièrement d’accompagner des personnes n’ayant plus envie de vivre, consciemment ou inconsciemment, activement ou passivement. Cela peut se traduire par des pulsions suicidaires, mais plus souvent par des comportements à risque ou des actes autodestructeurs.

Que je sois ami ou accompagnant, la question me revient à chaque fois : Quel est mon rôle face à ces personnes ? Il ne m’appartient bien évidemment pas de rentrer dans la dissuasion, la dénonciation et encore moins dans un discours moralisateur judéo-chrétien qui voudrait que l’on ne peut refuser ce merveilleux cadeau qu’est la vie. Prendre le rôle du sauveur n’est pas pour moi une attitude respectueuse. Aimer un être, c’est avant tout le respecter dans ce qu’il vit et ne pas le juger. Aimer, ce n’est pas tenter d’interférer sur la volonté d’autrui, mais apporter modestement un peu de lumière et de réconfort.

Ainsi, après l’avoir écoutée, je commence par vérifier si la personne est consciente (ou non) de la conséquence possible de ses attitudes et comportements. En effet, le fait de ne plus vouloir vivre peut se manifester par une envie suicidaire (ici il y a pleine conscience de la portée de l’acte), mais bien souvent aussi par des comportements ou gestes inconscients et il est alors important de placer la personne face à l’issue mortelle qui se profile. Parfois la personne la reconnaît et parfois elle la nie avec force, ne voulant admettre que plus rien ne la retient à cette existence terrestre. Cette prise de conscience peut agir comme un électrochoc redonnant goût à la vie, mais plus souvent elle renforce la personne dans sa conviction de s’en aller.

Le plus difficile est sans doute d’accepter que l’on ne puisse insuffler par nos mots l’envie de vivre qui n’est pas/plus là. Bien évidement le dialogue passe toujours par un cheminement tentant de faire émerger une petite graine profondément enfouie et qui pourrait donner l’envie d’avancer encore un peu. Mais l’impuissance souvent rencontrée en pareille situation doit nous rappeler que chaque être est libre de disposer de sa vie, qu’il s’agisse de la poursuivre ou d’y mettre un terme. Dans tous les cas, mon sentiment de réussite ne se mesure jamais à ma capacité à avoir pu redonner goût à la vie, mais à la qualité de la présence non-jugeante que j’ai pu offrir.

L’envie de mettre un terme à sa vie est souvent liée au sentiment de se retrouver dans une impasse et de ne pas avoir la force de régler des problèmes personnels majeurs. Ainsi, plutôt que de blesser, de porter une culpabilité insoutenable, de s’assumer dans l’authenticité, il peut paraître plus simple de fuir en s’effaçant soi-même, comme dans un geste altruiste ultime. Ces personnes sont d’autant plus seules et isolées dans leur souffrance qu’elles se sentent souvent jugées et incomprises par leur entourage tentant de les retenir par des discours culpabilisants et moralisateurs.

J’ai l’intime conviction que la vie est une chance que nous nous offrons d’avancer, de guérir, de grandir… Elle ne ressemble en rien à un parachutage non désiré, une punition, mais à un choix profond dont nous n’avons souvent plus conscience. Mettre un terme à l’expérience est une option respectable, mais je pense aussi que la fuite est illusoire et que tout ce que nous n’aurons pas complété nous suivra jusqu’à ce que nous le réglions, ailleurs, autrement… Il faut parfois s’y reprendre à plusieurs reprises pour franchir un obstacle et finalement, nul n’est tenu par le temps.

2 commentaires

  1. Bonjour,

    Je fait actuellement un travail sur le suicide assisté et les soins palliatifs. Je pense qu’il n’est pas anodin d’aider une personne à mourir et que quand on rentre chez soi on se pose beaucoup de questions sur soi-même. Je voulais donc savoir, vous qui soutenez les personnes qui veulent mourir et leur famille, êtes-vous vous aussi soutenu ? Après avoir aidé une personne à partir, êtes-vous pris en charge par un psychologue d’Exit, avez-vous quelqu’un pour vous confier si vous en ressentez le besoin ?

    Cordialement.

    1. Bonjour Malou,

      L’accompagnement au départ planifié demande surtout d’être très au clair soi-même face à la mort. Dès l’instant où celle-ci s’apparente à un passage, une transition, il est alors beaucoup plus léger d’aider la personne qui le souhaite à franchir ce cap le plus sereinement possible. Notre attitude est très communicative et peut grandement favoriser un départ en paix.

      Pour répondre à la question, après un départ que j’accompagne par Exit, il n’y a pas de debriefing systématique. Bien évidemment l’équipe d’Exit est très disponible au besoin dans le cadre d’une éventuelle écoute ou aide psychologique, si le besoin devait se faire ressentir.

      Cordialement.

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